Saltimbank est un film français réalisé par Jean-Claude Biette, sorti en 2003.
Distribution
- Jeanne Balibar : Vanessa
- Jean-Christophe Bouvet : Bruno Saltim
- Jean-Marc Barr : Frédéric Saltim
- Micheline Presle : Mme Saltim
- Michèle Moretti : Florence
- Marilyne Canto : Eve La Rochelle
- Ysé Tran : Margot Waï
- Frédéric Norbert : Hans Kalender
- Philippe Garziano : André Ferrara
- Pascal Cervo : Félix
- Ima de Ranedo : Ana Maria Toldra
- Noël Simsolo : Arthur Craven
- Philippe Chemin : Christoph Neverding
- Hanns Zischler : Johann Kreisler
- Thomas Badek : Elie
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SALTIMBANK
Ultime film d’un cinéaste qui observait les mystères ténus de notre monde sans jamais surligner ni souligner son trait gracile.
Dans Saltimbank, Jean-Claude Biette, disparu en juin dernier, raconte plusieurs petites histoires qui n’en sont pas vraiment, des embryons d’histoires qui se maraboutdeficellent et permettent surtout de mettre en scène moins des personnages que des acteurs (et quels acteurs !), des jeux de mots, des phrases de tous les jours.
Il y a les frères Saltim (branche française de la famille italienne Saltimbocca…) : l’un dirige une banque (Jean-Marc Barr), l’autre (Jean-Christophe Bouvet) a une maîtresse comédienne (la formidable Yse Tran, qu’on imaginerait bien chez Rohmer) et aussi une « danseuse » entretenue par la banque : un petit théâtre de banlieue dans un quartier en démolition où l’on répète en ce moment Esther et Oncle Vania. Le directeur de ce théâtre mange tous les jours dans le même restaurant, dont le patron se livre à un trafic de tableaux assez mystérieux.
Le mystère est d’ailleurs la caractéristique de Saltimbank, film flottant, et de ses personnages, des individus qui ont des petites manies, qui se contredisent volontiers, dont on ne sait jamais trop qui ils sont, ce qu’ils font, ce qu’ils aiment, et eux non plus sans doute.
Saltimbank, film gai et dépressif, pastel comme les couleurs de son générique, décrit avec humour et une angoisse maintenue légère par la volonté du metteur en scène qui s’applique à éviter de nous vendre quoi que ce soit un monde incertain, précaire, labile, où les gens font et disent un peu n’importe quoi, ergotent sur des détails, font des promesses sans jamais les tenir, n’ont aucun engagement définitif (qu’il soit financier, moral, affectif).
Chez Biette, les gens passent une partie de leur vie à ne pas penser à ce qu’ils disent, une deuxième à dire ce qu’ils ne pensent pas, la troisième à ne pas dire ce qu’ils pensent, et toute leur vie à oublier ce qu’ils viennent de dire. L’identité sociale, familiale, psychologique des individus est trouble, ils sont seuls, ne s’écoutent pas même quand ils communiquent.
Personnage emblématique du film : celui de Vanessa (Jeanne Balibar), nièce ou ex-nièce (ce n’est pas clair, forcément) des frères Saltim, ex d’un acteur qui a changé de nom et de pays. Elle a repris une entreprise de location de costumes et surtout de chaussures de théâtre, et passe également quelques heures par semaine à lire du Voltaire à la mère des frères Saltim (Micheline Presle), qui ne l’écoute même pas. Mais elle-même ne s’en formalise pas, elle ne se préoccupe que d’elle. Elle a failli être une grande actrice, mais elle a choisi une autre voie, les choses se sont soudain compliquées et elle s’est adaptée. Et voilà qu’on lui propose de remonter sur les planches, mais aussi de devenir assistante de direction de la banque Saltim, pour ses beaux yeux. Quelle est cette société de réseaux et d’argent où tout le monde pourrait soi-disant exercer n’importe quel métier, au pied levé ? Est-ce une plaisanterie ou tout bêtement notre monde ? Comment être acteur et pas seulement comédien de sa vie ?
Tout cela sur un mode anodin, qui pourrait tromper le spectateur habitué aux effets de cinéma, à une montée de la tension dramatique qui n’adviendra jamais dans Saltimbank, parce qu’« il ne se passe rien, que tout arrive, mais c’est indifférent », comme disait Nietzsche, parce que les événements ont rarement des conséquences…
Biette ne surligne ni ne souligne rien, ne cherche jamais à éblouir, à conclure, mais à refléter le monde qui l’entoure au moment où il le filme. Il n’en rajoute jamais. J’ai rencontré une fois Jean-Claude Biette. C’était dans un café. Il avait commandé un Coca-Cola. Dans le verre qu’on lui apporta, il y avait une rondelle de citron. Il la retira en disant : « Pourquoi rajouter de l’acidité à de l’acidité ? » Une petite manie ? Une éthique.
par Jean-Baptiste Morain Les Inrocks